L’Horloge d’Ollencourt, Tracy le Mont, 9 octobre 2018. C’est à cet endroit que le temps s’est arrêté, le temps d’un concert.
C’est ce moment sorti du brouhaha urbain, de la frénésie de ce siècle numérique où tout doit être instantané, qui nous est restitué dans cet album de près d’une heure dix.
Yoko Miura, en effet, surprend toujours. Une femme plutôt petite, souriante, un peu timide, et d’une sensibilité qui désarçonne. Pour distiller ses bulles délicates, elle sollicite peu de notes, jouant sur les couleurs, les résonances, sur la contagion affective auprès de ses compagnons du moment.
Ici, Gianni Mimmo au soprano déroule ses discours expressifs, mélodiques, où le recours aux rugosités sonores n’écorche pas.
Là, Thierry Waziniak caresse ses percussions, distille ses frappes comme un pinceau esquissant légèrement un nuage avec une encre chinoise.
On aurait pu parler de musique de chambre, intimiste. Ce serait une erreur. Elle est délicate, plutôt, mais développant des séquences intenses, des marées sonores. Une succession de moments, comme soumis aux éléments de la nature : des gouttes après la pluie, une eau qui ruisselle, une pluie qui revient, un temps qui menace, une végétation qui bruisse …
On pourra s’en convaincre avec l’ouverture de Drop 1. Deux notes auxquelles répondent deux autres notes. Et quand le sax s’envole, elle distille de nouveau deux trois notes et le calme revient. Les roulements, les chocs sont épars. Les mots du sax se font répétitifs, tachistes. Le piano continue de distiller des notes perlées, puis il se fait déferlant, il précède, il accompagne un beau chant, plaintif par moments, intense à d’autres. Les percussions sont précises, comme posées avec soin.
Quelques touches de piano et Drop 2 part vers de nouvelles couleurs affectives. Un moment délicat, attachant, avec des notes de clochettes (piano ? percussion ?) accompagnées de jeux sur les clés du sax.
À nouveau deux trois notes de piano et Drop 3 nous conduit vers un nouveau sentier.
La série des Drops (il y en a cinq) est ainsi l’échine dorsale de cet album.
Après cela, vient Fall. Une mélodie qu’on croit connaître depuis toujours, une intelligence des frappes métalliques et un chant délicat, d’une sensibilité distillée au sax, des balais qui griffent des peaux, Yoko Miura qui préfère un temps son melodica avant de reprendre son piano et ses touches éparses. C’est une longue et belle pièce… qui se met à déraper : des cymbales lacérées, des moments suspendus au piano, un sax qui s’éraille, des roulements de mailloches, des accords au melodica, une intensité crescendo. Puis la percussion marque le pas, ramène le calme. La petite mélodie initiale revient, le chant aussi, comme timide, bouleversant, des martèlements non invasifs. C’est un moment de grâce.
Itotsumuji débute comme une danse joyeuse, enlevée. C’est une fois de plus un tremplin pour l’inventivité des percussions, pour le discours tout de tourbillons ascensionnels du soprano. La voix se fait écorchée, enrouée, débraillée, les percussions roulent, occupent l’espace, le piano martèle à nouveau la petite danse initiale, un peu acide. La fin de la pièce est celle du concert.
Enfin presque. Encore quatre minutes pour un Épilogue, une esquisse de danse exotique murmurée, des paumes, des balais sur les peaux, des touches éparses au piano puis un thème alla Miura, forcément délicat.
Cet album est une superbe promenade pour revisiter toutes les terminaisons nerveuses de notre sensibilité. Yoko Miura a trouvé en Thierry Waziniak et Gianni Mimmo deux intelligences de l’instant, deux amplificateurs de résonances émotionnelles qui aiment à fureter là où on le les attend pas. Quant à Yoko Miura, elle continue de nous prendre par la main pour des déambulations poétiques dont elle a le secret.